Thèse de J.F. Leroy

Texte par Jean-François Leroy

Impression par Yann Owens
Originaux et multiples
Photographies par Aurélien Mole aux Instants Chavirés

Remarques liminaires

Emprunté à Marion Delage de Luget et, plus précisément au texte pour l'exposition « Et pour matériau, les standards » (La Permanence, Clermont-Ferrand, 2013 / commissariat : Kurt forever), ce titre, « Élaborer l'unique à partir du même », ne constitue pas seulement un sujet mais un principe d'être au monde ; il fait directement écho aux formes que je manipule au quotidien. Le même / l'unique : 

• l'objet en série vs l'objet singulier
• l'objet produit vs l'objet expérimenté
• la ressemblance vs la dissemblance

Ma pratique est matérielle, ma pratique vient du matériau (objet), ma pratique vient du matériau-produit. Mais si la forme est mon langage, c'est, comme tout langage, un langage polysémique. Partir d'une forme commune, d'une forme pauvre de notre temps, se l'approprier, la démembrer, l'associer pour arriver à une forme unique ①, c'est aussi, d'une certaine manière, refuser l'esprit de système. C'est utiliser le réel pour ne pas le décrire.

Aujourd'hui, j'identifie 2 grandes catégories de matériaux dans ma pratique : 

• les matériaux industriels qui n'ont pas encore d'histoire(s), de charges qui apparaissent avec fonction de structure, de construction.
• les matériaux récupérés qui constituent le fonds d'atelier, des formes a priori sans qualités qui ont perdu leur valeur d'usage, et donc leur rôle économique.

Un réel vécu, éprouvé.

J'utilise donc des « éléments précontraints » (cf. Claude Levi – Strauss dans La Pensée sauvage) afin d'aboutir à une sorte de bricolage de l'industrie. Dans l'atelier, ce lieu où se rencontrent différents registres de formes, j'exploite le potentiel tant sculptural que pictural de ces « éléments précontraints », en procédant par déduction. Je les réactive en tenant compte de leurs spécificités, format, épaisseur, élasticité, couleur… J'assimile d'ailleurs la couleur à un matériau : la peinture comme donnée industrielle apparaît par recouvrement(s), et permet alors de souligner les particularités desdits matériaux (ou d'autres) par plis-déplis-replis ou caches / fenêtres, etc.

La sérigraphie comme métaforme

« All comes from a plan », est une tentative de mise à plat de mon travail par le filtre de la sérigraphie. En pensant la spécificité de ce médium, strates, feuilletage, transparence, je tente de synthétiser ① l'expérience sensible que l'on peut avoir lors de l'appréhension réelle du travail. À aucun moment il n'est question de reproduire les pièces mais plutôt d'en comprendre la généalogie. Ne pas refaire mais réinventer en procédant par écarts, en regardant de biais. Une manière de retrouver le pourquoi initial.

le plan la peinture le plan l'architecture le plan
le plan la sculpture le plan la sérigraphie le plan

PAR LA SÉRIGRAPHIE, J'AI, D'UNE CERTAINE MANIÈRE, REFROIDI LES PIÈCES.

Utilisée ici comme filtre de relecture pour mes pièces, la sérigraphie a amené de nouveaux gestes dans l'atelier, de nouvelles façon d'appréhender le matériau, notamment en faisant monter des volumes par le pli. Dans ce processus d'appropriation, de déplacement, de transformation et de composition, il y a la volonté de créer des objets qui souligneraient à quel point toute forme porte en elle son propre discours, sa propre métaforme. Après avoir réalisé cette édition de 15 exemplaires sur papier de cette série sérigraphique, j'ai souhaité aller au bout de ce que me permettait cette méthode de relecture, et suis logiquement passé de l'édition sérigraphique à la sculpture sérigraphiée : du même à l'unique. (cf. l'exposition En double aveugle aux Instants chavirés). Dans une circularité qui m'est importante.

Objets de réflexion / objets de thèse

J'ai pensé cette thèse comme une succession d'indices en pratique sur ma pratique. Elle relève donc de l'objet plastique –  – 

qui renvoie de manière directe à / plus encore : 
qui est ma façon de travailler

Cette thèse n'est pas séparée de la pratique, n'a jamais été envisagée comme pouvant venir la compléter (pire : l'éclairer) ; car elle est elle aussi cette pratique. Elle est pièce, fait pièce, tout comme les pièces sont des objets de recherche.

Elle est constituée de 4 chapitres, élaborés dans l'atelier, entourés de pièces, et (en) faisant des pièces. Ces 4 chapitres n'amèneront pas de réponses à des questionnements, mais tenteront de révéler des processus de pensées en acte <a href="#1" class="footnote-call">1</a>.

prélever prélever prélever prélever
déplacer déplacer déplacer déplacer
SCULPTURE SÉRIGRAPHIE ÉDITION
composer composer composer composer
exposer exposer exposer exposer

Les 4 chapitres constitutifs de cette thèse s'incarnent en 2 temps : 
1. L'exposition En double aveugle <a href="#2" class="footnote-call">2</a> du  2 février au 10 mars 2019 aux Instants Chavirés (Montreuil)

2. L'édition (présente) Come and see again
Laquelle relève entièrement de mon processus de travail.
prélever déplacer composer exposer

Cette édition est elle-même constituée de 3 objets imprimés : 

A. Des notes, mes notes. Arrangées ? Réarrangées ? Ne pas expliquer : ni cela, ni le travail. Refuser la narration, accepter peut-être le récit : celui des matériaux à l'atelier. Refuser la média­ tion, amorcer une poétique du faire.

B. Une documentation non-exhaustive de mon travail depuis 2007, pièce par pièce, selon un parti-pris formel (mise  en page et reliure) faisant référence à la question de l'archive / l'archivage.

C. 54 éléments faisant circuler –  les articulant entre eux, et parfois les désarticulant volontairement –

3 registres de formes différents : 
–  39 formats 22,5 × 28 cm, prélevés  par recadrage dans la série « All comes from a plan » ; ce fonds sérigraphique me servant de base de travail de même que les matériaux pour les pièces.

 –  20 prises de notes photographiques  dont 12 de situations d'atelier et 8 d'es­paces publics.

 –  15 sources textuelles provenant d'écrits d'artistes, de critiques, d'historien-ne-s d'art, de philosophes, d'anthropologues, d'écrivain-ne-s.

Je fais circuler ces formes et délimite ainsi une géographie de mes questionnements, et de mes doutes, sans volonté d'affirmer avec autorité une… thèse sur mon travail qui risquerait de n'être que du commentaire.

CE QUI PRODUIT DES FORMES.