Pangramme

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Taille-douce
1000 exemplaires recto verso
10,3 × 14,5 cm
Impression par Yann Owens

Caractère libre

Ce qui caractérise le travail de Fanette Mellier, peut-être plus que celui de tout autre graphiste, c'est son rapport à l'image imprimée et le dialogue qu'elle engage systématiquement avec ses imprimeurs (Lézard Graphique, Art & caractère, Imprimerie Nationale...).

L'image imprimée est toujours portée par une technique qui y laisse sa griffe, même si l'image réputée « bien faite », d'un point de vue utilitaire, est celle dont la technique sait se faire oublier. Grâce à sa formation à l'École des Arts Décoratifs de Strasbourg et de ses expériences multiples en gravure, sérigraphie et offset, Fanette Mellier connaît parfaitement les enjeux de ce paradoxe. Les lettres de cet alphabet sont imprimées. Pour emprunter une métaphore, elles se sont incarnées, et portent les stigmates de cette actualisation. L'image imprimée revendique sa « non pureté » et se fonde dans son refus de l'essence ou de l'évanescence. L'image plastique est ancrée (encrée, dans notre cas) dans la réalité matérielle qui est la condition même de son existence. Une visée simplement utilitaire ou / et commerciale de l'édition consistera à produire (ou à faire produire) des multiples par un imprimeur, à partir d'un fichier et selon les protocoles standards de la chaîne graphique. Le thème ou « sujet » de l'image (affiche, fiyer etc.) produite l'emporte sur le procédé utilisé. Or ici, en embrassant d'un seul coup offset, sérigraphie, impression riso, photocopie, typographie, Fanette semble vouloir redonner à la technique le primat sur l'image. La technique transfigure la réalité, et beaucoup de productions artistiques contemporaines jouent de cette aptitude en s'appuyant sur les effets propres à tel ou tel médium. La visée plastique n'aboutit que si elle exploite les possibilités offertes non seulement par l'écran où le graphiste conçoit d'abord son oeuvre, mais par l'ensemble de l'appareillage technique qui achemine l'image de sa conception vers son impression. Là où un produit utilitaire peut privilégier le « fond » au détriment de la « forme », se contentant de faire passer un message, une oeuvre plastique se doit d'exploiter au maximum toutes les ressources des techniques auxquelles elle a recours.

Il en résulte chez Fanette ce refus de produire une image égalisée, neutre, pour réaliser des images qui exploitent toutes les déclinaisons possibles des matériaux et des dispositifs, de telle sorte que la forme redevienne porteuse de sens. C'est ainsi que la graphiste propose 26 lettres aux formes, formats et techniques d'impressions variés. Cette contrainte qu'elle s'impose l'oblige à reconsidérer et questionner la validité et la cohérence de tout son projet à chaque caractère, chaque passage de la presse ou chaque épreuve photocopiée. L'outil matériel, celui qui nous permet de dessiner, de graver, d'imprimer, devient outil d'analyse. Mieux : l'outil, ici, n'est plus l'écran ou la presse. C'est bien plus ce type particulier d'analyse, distinct du langage, que l'on projette sur l'objet en fonction d'un objectif.

Une telle conception nécessite l'abandon d'un rapport de proximité confortable aux choses, au profit d'une attention portée aux relations abstraites – mais néanmoins réelles – qui sont étroitement imbriquées en elles. L'outil ainsi conçu n'a d'existence que dialectique entre une abstraction qui le fonde et un réel qui lui résiste.

Dans le rapport à la technique, on a donc affaire à des moyens (matériaux et machines) et des fins (tâches, opérations) qui s'éclairent mutuellement. Il ne s'agit pas tant de deux faces qui définiraient l'outil d'analyse, que d'une interface qui ferait de l'un la glose de l'autre. On substitue ainsi au couple de l'instrument conjoncturellement asservi à une fin, l'abstraction de l'outil comme élément disponible dans la structuration de l'oeuvre.

Qu'en est-il pour le spectateur ?

En multipliant les techniques et les supports d'impression, Fanette engage le spectateur à interroger ses choix matériels, puis dans un deuxième temps son rapport particulier aux objets imprimés et à leur genèse.

Car il est question ici de formes découlant d'un processus d'ordre technique, impliquant une manipulation et une conduite outillée. Et ces objets trouvent, dans la mise en oeuvre de ce principe d'organisation, un registre formel qui leur est propre. Si, au départ, le projet est identifiable par tous (les 26 lettres de notre alphabet latin), il se complexifie à mesure que chaque lettre vient, dans sa spécificité formelle, remettre en question le registre des autres. Au fond, une des questions que pose Fanette est la suivante : la technique peut-elle s'affranchir d'une pensée logique ou lui reste-t-elle irrémédiablement subordonnée ? Est-il simplement question de savoir-faire – et, reconnaissons-le, cette exposition reste un formidable hommage au savoir-faire des imprimeurs !

Ce savoir-faire, justement, devient objet d'analyse, lorsque ces processus et leurs composants sont mis en évidence. Au fil de la découverte des « incarnations » des techniques et matières employées, le visiteur découvre le travail sur la surface et l'agencement de ces objets-lettres. Confronté ici à un aspect mat ou brillant, un rendu numérique ou analogique, une transparence ou une opacité, il devient sensible à l'incidence de la lumière. Son attention est attirée par les qualités des encres. Il s'interroge peut-être sur le processus en amont de l'épreuve exposée.

Attardons nous par exemple sur la lettre H

Celle-ci a été imprimée en taille-douce à l'ESADHaR du Havre. Le fichier .pdf ou .psd du H est arrivé par mail. Ce fichier constitue le préalable au travail d'impression. Il contient le dessin au format, plus les traits de coupes. Ensuite, pour réaliser une taille-douce, il a fallu faire subir à la lettre plusieurs états. Du fichier source, le H est devenu film en prévision d'une sérigraphie. Une fois l'écran préparé, le H n'a pas été directement imprimé sur un papier mais (grâce à une encre pour circuit imprimé) sur une plaque de zinc qui a servi de matrice à une taille-douce. Ensuite est venu s'ajouter le procédé d'aquatinte, qui permet de créer une trame manuelle irrégulière à la surface de la plaque, avec un effet de dispersion aléatoire des points blancs au sein du noir profond de l'encre taille-douce.

Le dessin original a été respecté mais le traitement subi par la lettre (aquatinte + morsure à l'acide) propose au regard un objet portant une facture spécifique. Celle d'une eau-forte, dont l'encrage et l'impression manuelle nous donnent ce rendu si caractéristique, ici sur un papier salland 300 grammes.

La perception s'effectue sur un mode différentiel et constrastif (contrasté et paradoxal). De la différence des techniques naît l'attention à la possibilité d'un sens lié à la forme elle-même. La juxtaposition des techniques, des papiers et des formats, voulue par Fanette, incite le spectateur à participer : reconnaître d'abord, s'approprier ensuite (par exemple en constituant mentalement puis physiquement son propre nom, un mot, voire un des pangrammes qui sont l'objet même de l'exposition). Le tri des objets ne s'opère plus seulement en fonction de leur forme (je repère un A, un O), mais de leur mode de production (une sérigraphie, une photocopie).

Certaines lettres ont été réalisées grâce à la générosité des partenaires suivants: Art & Caractère, Lézard graphique, Fotokino et Le Cicero.

Les lettres L et H ont été imprimées dans l'atelier sérigraphie de l'École Supérieure d'Art et Design Le Havre-Rouen (ESADHaR) avec la contribution active des étudiants de l’école : Marion Caron, Isabelle Caplain, Lea Michel, César Henry, Xavier Rodriguez.

La lettre K a été imprimée dans l'atelier d'impression de l'École Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes, avec la contribution de Audrey Jamme.

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