Bachibouzouk

Benoit Bonnemaison-Fitte, Thomas Couderc

Franciscopolis

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Auteur·ices
Benoit Bonnemaison-Fitte, Thomas Couderc
Titre
Bachibouzouk
Éditeur
Franciscopolis
Année
2020
ISBN
979-10-97348-02-1
Description

Impression : Lézard Graphique, Gyss Imprimeur

BACHIBOUZOUK fait suite à l’exposition concluant la résidence de création de Thomas Couderc et Benoît Bonnemaison-Fitte au Bel Ordinaire, espace d’art contemporain Pau Pyrénées, en 2017. BACHIBOUZOUK s’inscrit dans le cadre de l’unité de recherche RADIAN, l’équipe de recherche E.D.G.A.R., et bénéficie du partenariat entre Franciscopolis Éditons et l’ESADHaR.

Directeur de la publication : Yann Owens
Direction éditoriale et conception graphique : Helmo
Images : Benoît Bonnemaison-Fitte et Thomas Couderc
Textes : Florence de Mecquenem, Yann Owens
Recouvrement des textes : Paul Cox

Les auteurs remercient Florence de Mecquenem, Yann Owens et Paul Cox pour leur contribution à l’ouvrage. Merci également à Richard Martel, Jeanne, Ludovic, Damien Auriault, Yvan Bléhaut, toute l’équipe du Bel Ordinaire, Jean-Yves Grandidier, Nicolas Reber, Frederica Calzoni, Sylvette, Magali, Adèle, Rosalie, César, Clara, Fanette, Félicie et Olga. Cet ouvrage a bénéficié du soutien de : Fedrigoni France, Lézard Graphique, Gyss Imprimeur, RADIAN (Recherche, Art, Design, Innovation, Architecture en Normandie), ESADHaR (École Supérieure d’Art et Design Le Havre-Rouen), E.D.G.A.R. (Exposer le Design Graphique, Actes & Recherches), Ville du Havre, Métropole Rouen Normandie, Ministère de la Culture / DRAC Normandie, Région Normandie, Normandie Université

Dimensions
17 × 42 mm
Liens

Couches par couches, Bachibouzouk et ectoplasmes

La fascination pour l'image occulte généralement le dispositif qui la rend visible. Dissimulé, circonscrit la plupart du temps par l'usage (technique), l'écran de sérigraphie est très souvent invisible, dans la mesure où il est généralement considéré comme un simple intermédiaire, transparent ou opaque, traversé ou masqué, occulté ou ignoré, au profit exclusif de l'image qu'il véhicule ou rend visible. Or, il semble qu'à sa manière aussi, il conditionne à la fois la production et les conditions de visibilité des œuvres dont il est transitoirement le vecteur. Pour le dire en termes d'orfèvrerie, l'écran, d'ordinaire, ne jouit pas du prestige de la parure, mais joue au contraire un rôle d'écrin pour l'image. Par opposition à l'image qui s'y inscrit, l'écran n'est pas l'œuvre dans l'esprit du public du fait de l'extrême substituabilité des images qui, fugitivement, y prennent corps. Interroger l'écran, c'est peut être interroger l'image en train de se faire. Le décrochement de la forme encore humide, la trace pas encore totalement fixée, nous alerte sur un état transitoire de l'image.  Envisager l'ensemble de la série Bachibouzouk, c'est révéler en partie l'appareillage technique au même titre que les stratégies de combinaisons des formes entre elles. Plus que des images, Bachibouzouk donne à voir un système d'impression, rien ne se comprend ici si ce n'est par rapport à un tout. Les images certes mais aussi l'enchainement organique, ses étapes, le maniement.  Une réflexion sur l'image imprimée n'aboutit que si elle exploite d'une part les possibilités offertes en amont sur l'écran (numérique) où les artistes ont conçus une partie de leur projet (la modélisation), et d'autre part l'ensemble de l'appareillage technique qui achemine l'image de sa conception vers son impression. Le jeu des couches, des brillances ou des matités, des recouvrements, des impressions et des surimpressions révèle la manière dont la technique procède, désamorce l'illusion et affirme la réalité plastique de l'image.La perception s'effectue sur un mode différentiel et contrastif (contrasté et paradoxal). De la différence, de l'accumulation et de la multiplication des couches naît l'attention à la possibilité d'un sens lié à la forme elle-même. Les juxtapositions, les impressions et les surimpressions des portraits et des motifs, voulues par les 2 artistes, incitent le spectateur à participer : reconnaître d'abord, s'approprier ensuite. La lecture des images s'opère dans un premiertemps à travers une attention flottante puis par le jeu visuel des occurrences, de la nature des images mais aussi de l'agencement des couches.

« Selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé de série de spectres en couches superposée à l'infini, en pellicules infinitésimales dans tous les sens ou l'optique perçoit le corps. L'homme à jamais ne pouvant créer – c'est-à-dire une apparition, de l'impalpable, constituer une chose solide, ou de rien faire une chose, chaque opération daguerrienne, venait donc surprendre, détachait et retenait en se l'appliquant une des couches du corps objecté. De là, pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d'un spectre, c'est-à-dire d'une part de son essence constitutive. <a href="#1" class="footnote-call">1</a> »

Ce que nous donne à voir la série Bachibouzouk, ce sont autant d'états, une séquence d'esprits suspendus<a href="#2" class="footnote-call">2</a> ②. Jamais totalement finie ou accomplie, la série, par le jeu des couches et des recouvrements successifs, relève du monstrueux, d'association de l'effet aux rêves, aux fantasmes, aux pensées des personnages, aux états mentaux hors normes, non-ordinaires, un monde de choses où le corps a perdu toutes sa solidité, ses distinctions.

Bachibouzouk nous amène à nous interroger sur la vitesse de notre monde et le flux des images. À l'instar d'un Boccioni visionnaire qui en 1911 disait déjà : 

« L'espace n'existe plus [...] Qui peut croire encore à l'opacité des corps pendant que notre expérience sensible nous fait concevoir les obscurs phénomènes médiumnique ? Dans ce monde nouveau, rapide, comment peut encore croire à un corps opaque, solide, impénétrable, clairement distingué les uns des autres, quand cette expérience multipliée ressemble aux expériences des médiums ? [...] Notre corps entre dans le sofa sur lequel nous sommes assis et le sofa entre en nous, se mêle avec lui. <a href="#3" class="footnote-call">3</a> »

Il y a ici quelque chose de latent, d'un temps suspendu. Le temps est essentiel a la série parce qu'il conditionne l'exercice du regard. Ces images insistent sur leur visualité, sur une certaine profusion de la sensation visuelle qu'elles produisent mais un visuel toujours inscrit dans le temps, le temps mis en forme.

  1. Nadar, Quand j'était photographe, Paris Flammarion 1900, page 6 cité dans Le photo-graphique pour une théorie des écarts, Rosalind Krauss, Edition Macula, 1ère Edition 1990, 2e édition revue, corrigée et remaniée 2013. Paris, page 30.  Rosalind Krauss, introduit un chapitre sur les témoignages de Nadar « la photographie ne donne t-elle pas le pouvoir (à l'homme) de créer, lui aussi à son tour en matérialisant le spectre impalpable qui s'évanouit aussitôt aperçu sans laisser une ombre au cristal du miroir, un frisson a l'eau du bassin ? »
  2. Certains ont voulu voir avec l'arrivée de La photographie et ensuite du cinéma les moyens d'établir une méthode d'analyse d'un monde emporté par la vitesse, la perte, le fugitif, et de capter l'invisible d'un monde et d'en révéler parfois avec force artifices, la magie. La surimpression des pellicules permit aux fantômes et ectoplasmes de peupler la photographie et ensuite hanter le cinéma de l'herbier et d'ophüls avant de devenir avec le temps un effet désuet et artificiel. Impressionner à nouveau une pellicule déjà impressionnée (et non encore développée) ; obturer une partie des objectifs avec des caches produira des phénomènes visuels qui ne se présentent pas dans notre expérience visuelle naturelle, sauf dans le cas du reflet sur une surface semi-transpa­rente ou dans le reflet du miroir.
  3. Boccioni, Vision Simultanée, 1911.

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